Rencontre avec Roger Siffer
Officier des Arts et des Lettres en décembre 2004, prix du journalisme franco-allemand en 1984, auteur, chanteur, comédien, cabarettiste… Qui se cache donc derrière cette carrière si prolifique ?
Ce CV à vous donner le tournis est celui d’une personnalité bien connue des Alsaciens et ô combien chère à leur cœur : Roger Siffer.
Le directeur du cabaret strasbourgeois La Chouc’routerie, célèbre pour son humour mordant jamais dépourvu de poésie, est aussi client depuis 45 ans du cabinet Alsec – Hans & associés de Strasbourg. Il a accepté d’inaugurer notre série de portraits de clients qui vont faire bouger 2021.
Bonjour M. Siffer. Avec un tel CV, on est tentés de se demander comment vous en êtes venus à la comédie, à la chanson…
Roger Siffer : J’ai commencé par être étudiant en philo : j’ai une licence et une demi-maîtrise. Mais j’étais un escroc. J’ai présenté plusieurs fois le même sujet à des profs différents. Et ça a marché ! En ce temps-là, on se retrouvait plutôt dans les bistrots qu’à la fac : on faisait la manche pour boire des coups. Nous avions notre cri de guerre, un peu comme les rugbymen : c’était la petite comptine « La quéquette à Jésus-Christ » de Jacques Prévert. Bref, on nous entendait arriver.
Un jour que j’avais un peu abusé du vin blanc, je me suis mis à chanter en alsacien. C’était une comptine de la région de Saint-Louis, dont est originaire ma tante. Cette comptine s’appelle Bùschùr Màdàm Mayer…
A l’époque, je chantais un tas de petites comptines un peu provoc, que j’enfilais sur une mélodie comme un collier de perles. Bien sûr, quand je faisais ça dans les bistrots, les gens ne savaient pas trop si je me moquais ou pas… il y avait de gros silences !
Ensuite, j’ai fait ma première émission à Villé, d’où je suis d’ailleurs originaire. Un journaliste des DNA a fait un papier sur moi, en conséquence de quoi j’ai été invité à la télévision. C’est comme ça que l’on m’a forcé à écrire mes premières chansons. A l’époque, j’ai donc écrit une chanson un peu utopiste, sur « commande » de Germain Muller, le confondateur du « Barabli », un cabaret strasbourgeois. L’idée était de glorifier l’ambiance des winstubs strasbourgeois, où il n’y a (soi-disant) pas de clivages politiques et où chacun se sent bien. Cette chanson, c’est Mad’moiselle Anne-Marie, mon premier tube !
En 1984, j’ai repris une ancienne choucrouterie pour y installer un cabaret alsacien qui croque l’actualité depuis maintenant plus de 30 ans. Ma théorie est la suivante « Si on ne plante pas nos propres salades, on devra les importer de Hollande. » Autrement dit, on n’est jamais mieux servi que par soi-même. On n’avait pas de troupe, rien du tout. Je ne voulais pas que la Chouc’routerie sente uniquement la choucroute : il y fallait du couscous, de la paella, toutes ces odeurs de plats du monde. Les 15 premiers jours de l’ouverture, on courait partout. Il y avait de la chanson française, lorraine, allemande, du mime, un groupe de Berlin… Je ne voulais pas de régionalisme fermé.
La particularité de la Chouc’routerie, ce sont les comédiens qui courent d’une salle à l’autre pour déclamer en alsacien dans l’une, et en français dans l’autre ! Le bilinguisme alsacien français vous tient à cœur ?
C’est vrai que c’est un peu schizophrène. En ce moment, nous faisons 7 à 8h de répèt’ par jour pour préparer notre nouveau spectacle : En vert et contre tousse. Le vert, pour le vert de la maire de Strasbourg, et bien sûr, la toux du covid.
C’est vrai qu’un spectacle en deux langues demande une sacrée organisation, mais c’est un double plaisir. D’ailleurs, le spectacle n’est pas tout à fait le même en français. Cette année, vous y entendrez du rap, alors qu’en Alsacien, vous entendrez une reprise de Stromae. Par contre, un point commun dans les deux langues : à la fin, tout le monde s’amuse.
Nous écrivons ce nouveau spectacle depuis le mois de juin dernier : nous sommes 12 auteurs. Nous répétons masqués et en respectant les mesures de distanciation. L’équipe se fait tester toutes les semaines : mine de rien, c’est une grosse machine.
Qu’est-ce qui fait la spécificité du cabaret alsacien par rapport aux autres formes de théâtre ?
L’humour, la moquerie, la satire font tout le sel du cabaret alsacien. D’ailleurs, vous en retrouvez encore dans quelques villages, notamment dans le val de Villé. Mais c’est surtout la chanson, le texte et la danse qui caractérisent ce cabaret. Un vrai mélange des genres !
Chaque chanson est chorégraphiée. Nous avons une metteuse en scène qui nous fait répéter chaque pas. En le voyant, on peut penser que c’est facile, alors que chaque détail est minutieusement travaillé. C’est pour cela que nous répétons autant : dès que l’on pourra jouer, on sera prêts à remonter sur scène.
Pouvez-vous nous parler de votre spectacle à venir : En vert et contre tousse ? Qui va être égratigné cette fois-ci ?
Tout le monde en prend pour son grade, surtout les écolos (même si nous sommes du genre écolo nous-mêmes). Récemment, Alain Jund, l’élu écologiste strasbourgeois, a même prétendu que si les écolos avaient été élus à la mairie de Strasbourg, la Chouc’routerie n’y est pas pour rien.
Au-delà de cela, En vert et contre tousse abordera des les actualités de 2020. Il n’y en a pas que pour le Covid : on y retrouvera Fessenheim transformée en musée, les chasseurs, les flash-balls, l’affaire des chevaux mutilés… Rien n’a été oublié, c’est notre boulot de prendre tout en note.
Vous savez, je me rends tous les ans au festival de Lorient. Ça n’a pas été possible cette année. D’ailleurs, les Alsaciens disent souvent que ce qu’il nous manque en Alsace, c’est la mer. J’ai donc choisi de faire une chanson sur la nouvelle maire de Strasbourg, Mme Barseghian. C’est ma mer à moi ! Nous avons aussi quelque chose pour Eric Straumann, clin d’œil aux Haut-Rhinois.
L’humour, c’est tout ce qu’il nous reste en ce moment ? Quel regard portez-vous sur la situation actuelle ?
On attend des jours meilleurs. A 70 ans passés, je suis une bête à risques ! Il faut continuer à vivre, c’est le principal. C’est invraisemblable de voir des métros pleins à craquer et des salles de spectacle vides, alors qu’on pourrait y mettre en place de la distanciation.
Vous avez l’art de donner le sourire aux gens : quel message souhaitez-vous adresser aux gens pour qu’ils gardent le cap ?
C’est vrai, les gens me disent dans la rue que nous leur manquons ! Cette forme de cabaret que nous proposons est salutaire : le rire est un antidote. Il est nécessaire. Il faut rire à gorge d’« employés » (sic). À la Chouc’routerie, on rit beaucoup entre nous. On se « latte », comme on dit. C’est notre thérapie à nous ! Je ne suis pas un grand fan d’internet, mais j’ai pu voir que beaucoup y tournent la situation en dérision. Comme disait Brassens, « en rigolant pour faire semblant de ne pas pleurer. »
Vous avez de nouveaux projets pour 2021 ?
Plein de trucs ! Notamment un spectacle sur la culture welche remis à 2022, entre autres projets. Mon ami Cookie Dingler résume bien la situation : quand on lui demande « Qu’est-ce qu’il devient Siffer ? », il répond « Il travaille, il ne sait rien faire d’autre ! ».
Un grand merci à M. Siffer d’avoir répondu à nos questions et… chapeau l’artiste !
En savoir plus :
Pour découvrir ou redécouvrir La Chouc’routerie et découvrir leur programmation, rendez-vous sur leur site Internet.
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